Numérisation et création de tableaux photos par feuchateau.com. Exposé notamment dans la boutique de l’Abbaye de Tamié en Savoie. Ci dessous l’histoire complète.
Le 10 mai 2013, dans l’étude notariale de Me BOIRON-MONTOUX et Me BOUILLOUX à GRÉSY-SUR-ISÈRE, un étudiant en histoire de l’Université de SAVOIE, Pierre DUBOURGEAT, effectue des recherches pour son mémoire de fin d’études. Parmi les dizaines de volumes anciens conservés dans la bibliothèque de l’étude, l’un d’entre eux, datant de la période révolutionnaire, attire son attention à cause de curieux symboles présents sur la couverture : un double cercle, un monogramme constitué de plusieurs lettres de l’alphabet et une année en numération romaine : M C LXX I (1171). Fort de ces éléments, le professeur d’histoire médiévale Laurent RIPART détermine qu’il s’agit du bas d’une bulle pontificale, précisément datée du 15 février 1171, mais il manque encore la partie haute, particulièrement intéressante puisqu’elle contient les dispositions de l’acte. Les premières recherches effectuées dans des livres et des archives permettent d’établir que cette bulle pourrait être adressée à l’abbaye de TAMIÉ ou alors à l’archevêque Pierre II de TARENTAISE (décédé en 1174), lequel avait par ailleurs été le premier abbé de TAMIÉ au moment de la fondation de l’abbaye en 1132.
La partie haute de la bulle est finalement localisée quelques mois plus tard, à la fin de l’année 2013, sur la couverture d’un autre livre, toujours dans la bibliothèque de cette même étude notariale. Ce second livre était pourtant situé juste à côté du premier mais la couverture était collée de telle sorte que seul le verso du parchemin était visible, empêchant toute identification. Ce sont les traces de pliures identiques sur les deux morceaux et reconnaissables tant au recto qu’au verso qui ont permis de confirmer que les deux morceaux étaient liés entre eux et provenaient d’un seul et même document. Grâce à l’intervention d’une première restauratrice, quelques mots sont apparus sur le morceau du haut, dont l’un composé de fines lettres, très élancées, caractéristiques de la première ligne des bulles pontificales de cette époque. Il s’agit du mot « STAMEDEI » traduction de TAMIÉ en latin. De plus, une référence « Tamié n° 102 » était inscrite mais très difficilement lisible. Ces deux éléments indiquent que la bulle découverte est incontestablement celle de l’abbaye de TAMIÉ et non celle de l’archevêque Pierre II de TARENTAISE. Il a donc existé au moins deux bulles portant la date du 15 février 1171 en SAVOIE.
Un inventaire de tous les anciens titres et documents de l’abbaye de TAMIÉ avait été effectué dès 1650 et après consultation, il mentionne bien la bulle du pape ALEXANDRE III du 15 février 1171 à plusieurs reprises. Cet inventaire est réalisé sous l’abbatiat de François Nicolas de la FOREST DE SOMONT (1645-1659) suite à un incendie qui avait fait disparaître les archives les plus anciennes de l’abbaye. Par contre, les archives du VATICAN ont confirmé n’avoir aucune copie ni mention de cette bulle puisque les registres du pape ALEXANDRE III (1159-1181) ont été perdus dès le XIIIe siècle.
Au vu de l’intérêt historique de ce texte inédit, une restauration complète a été effectuée par Chloé PÉDOUSSAUD, restauratrice à BELLIGNAT. La dernière fois que le texte de la partie haute avait vu la lumière du jour, c’était pendant la période révolutionnaire. Il a cependant très bien résisté puisque les lettres sont parfaitement lisibles. Les deux morceaux se réassemblent au millimètre pour former un grand parchemin de 67 cm de hauteur pour 57 cm de largeur. Il s’agit probablement de vélin, peau d’un veau mort-né, réputée pour sa finesse et sa blancheur. Au verso de la partie basse, est recopié un extrait du décret de GRATIEN concernant les dîmes. Au même endroit, à l’aide d’une lampe de WOOD, une nouvelle référence invisible à l’oeil nu est apparue « n° 3840 » qu’on retrouve aussi dans l’inventaire des anciens titres de l’abbaye de TAMIÉ. Les bulles étaient scellées à l’aide d’une pièce en plomb, en argent ou en or appelée « bulla ». Cette pièce était accrochée au bas du document à l’aide de cordelettes en soie ou en chanvre. D’un côté figuraient les visages des apôtres PIERRE et PAUL et de l’autre le nom du pape. Celle de la bulle de TAMIÉ devait être en plomb et a sans doute disparu à la Révolution.
Le contenu du texte nous apprend que l’abbé à cette époque est Pierre de SAINT-GENIS qui le sera jusqu’en 1207. Le pape place le monastère sous sa protection et celle de Saint PIERRE. La vie monastique telle qu’elle a été établie selon la règle de Saint BENOIT et l’institution des frères de CÎTEAUX doit y être observée jusqu’à la fin des temps. Les violences, vols et incendies volontaires sont interdits tout comme le fait de capturer ou tuer des hommes. Que toute personne qui tente de contrevenir se sache coupable devant le juge divin et à l’heure du jugement dernier, soumise à son juste châtiment. Dix granges exploitées par l’abbaye sont énumérées et considérées comme sa propriété. Elles se situent sur les départements actuels de la SAVOIE, de la HAUTE-SAVOIE et de l’IS ÈRE. La mention de la grange de l’ÉPINE à NOVALAISE en 1171 indique que le château et la montagne de l’ÉPINE ne peuvent pas tenir leur nom d’une épine de la Sainte Couronne rapportée de croisade par Guillaume de MONTBEL au XIIIe siècle. Dans la partie basse figure la souscription du pape ainsi qu’une croix censée être faite de sa main dans le double cercle appelé « rota » lequel contient aussi la devise du pape. Viennent ensuite les souscriptions des 2 cardinaux-évêques (dont le futur LUCIUS III, pape de 1181 à 1185), des 5 cardinaux-prêtres et des 4 cardinaux-diacres. Le monogramme en bas à droite contient toutes les lettres de la phrase « BENE VALETE » se traduisant par « Portez-vous bien ». La dernière ligne est celle indiquant le lieu de rédaction (TUSCULUM près de ROME) car le pape est en exil en raison du conflit avec Frédéric Ier BARBEROUSSE (1122-1190), souverain du SAINT EMPIRE ROMAIN GERMANIQUE et excommunié par ALEXANDRE III en 1160. On lit aussi le nom de GRATIEN, notaire ayant rédigé l’acte et la date complète incluant des références romaines (le 15 des calendes de mars et la 5ème indiction) ainsi que le millésime 1171 et même l’année du pontificat du pape (la 13ème).
Au moment de cette bulle, l’abbaye de TAMIÉ n’a que 39 ans d’existence et elle se situe plus bas que l’abbaye actuelle, construite à la fin du XVIIe siècle. Le Mont GRANIER n’est pas encore écroulé (1248) et la cathédrale NOTRE-DAME de PARIS est en construction depuis 8 ans seulement (1163). La bulle échappe à plusieurs incendies de l’abbaye en 1262, 1273 et 1314. Dès 1793, les très nombreuses archives et la bibliothèques de l’abbaye sont détruites ou dispersées. Elles avaient été inventoriées au préalable mais l’inventaire a lui-même été détruit dans l’incendie du château de CHAMBERY en 1798. C’est sans doute à cette période que le notaire François BALLY (1747-1818) de VERRENS-ARVEY fait couvrir deux de ses livres avec le parchemin de la bulle qui se retrouve ainsi recyclée et coupée en deux. Cette pratique était très répandue déjà avant la Révolution car le parchemin est à la fois souple et résistant. En 1818, François BALLY lègue ses livres à son fils François-Marie BALLY (1783-1838), également notaire à VERRENS-ARVEY. Ce dernier lègue à son tour ses livres à son neveu et homonyme François-Marie BALLY ( 1810-1895), notaire cette fois à FRONTENEX à partir de 1842. Les deux livres sur lesquels se trouvaient la bulle sont ensuite passés de notaires en notaires à FRONTENEX jusqu’au milieu des années 1950, époque à laquelle l’étude est rattachée à celle de GRÉSY-SUR-ISÈRE.
Depuis sa création au XIIe siècle, la bulle a connu 10 siècles différents avant de pouvoir enfin être restaurée, numérisée, étudiée et protégée en 2018. Le XXIe siècle lui offre l’occasion de commémorer son 850ème anniversaire dans les mêmes conditions que le 15 février 1171 qui était également un lundi, avec la participation de Dom Ginepro RIVA, abbé de TAMIÉ et de Mgr Philippe BALLOT, archevêque.